« Ah, décidément, il n’y a plus de vieillesse ! » (Jean-Pierre Verheggen)

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Écrivain et poète belge (ô combien !) de langue française, Jean-Pierre Verheggen (°Gembloux, 1942) a produit une œuvre aussi insigne que déroutante, jonglant avec les codes littéraires qu’elle pulvérise et avec les mots qu’elle sublime dans des jeux souvent ébouriffants[1] qui ont attaché à leur auteur une camarilla d’aficionados sans cesse grandissante.

 

Ils applaudiront Les Impressions nouvelles à Bruxelles qui ressortent dans la célèbre collection « Espace Nord » – suivis d’un entretien avec Éric Clémens – deux recueils poétiques d’icelui, Gisella (paru en 2004 aux Éditions du Rocher) et L’Idiot du Vieil-Âge (publié en 2006 chez Gallimard), aussi remarquables que remarqués.

 

Gisella est un monument funéraire que Jean-Pierre Verheggen érige – à sa façon – en mémoire de sa défunte épouse, Gisella Fusani, décédée dans des circonstances affreuses et humiliantes des suites d’un cancer des intestins, une déclaration d’amour inconditionnel et absolu autant qu’un cri contre l’injustice finale de la destinée d’une femme belle, douce et rebelle qui fut, écrit le poète, une chamelière de méharée à Louxor sur un dromadaire, une Reine de Saba parcourant la Grande Garabagne des hôpitaux namurois, une petite fille du village toscan de Sorgnano di Carrara, une actrice sensuelle et charnelle du cinéma italien des années 1950 qui se consuma finalement en Cendrillon, petit tas de cendres…

Extrait :

 

« Je t’écris donc – à ma façon

peu orthodoxe – une dernière lettre d’amour,

mon amour,

une lettre que tu ne recevras pas,

qu’aucun facteur en camionnette

– ou postino en Vespa ! – ne te remettra

en mains propres en te priant

de bien vouloir signer là, à l’endroit exact

qu’il pointe de son index tendu, de bien vouloir

accuser réception de cette missive tout à fait recommandable

qu’aucun Facteur Cheval italien ne glissera

dans la boîte aux lettres de ta petite loge

de colombe dans ton columbarium

à 54033 au pied des Apennins,

une lettre, disais-je, qu’aucun remplaçant (provisoire)

 

du préposé à cette tournée rurale

n’aura à distribuer et

qu’aucun employé des Postes Statales du Centre

n’aura ‘a tamponner en retour

d’un sec : n’habite plus à l’adresse indiquée

ou : ne répond pas à l’appel

ou pire : inconnue

(comme si tu étais inconnue !)

Ou pire encore : décédée !

 

Mais peut-être ont-ils raison ?

Du moins leur raison ! Car j’écris en effet

dans le Vide absolu de toi !

 

J’écris en Absurdie !

J’écris en Ineptie !

En Chagrinerie !

En Malinconie : capitale Dolorosa !

J’écris en Morosie !

En Maussadie,

Voire en Cafardie : chef-lieu, Spleen

Et sous-préfecture, Blues ! »

 

Dans L’Idiot du Vieil-Âge, Jean-Pierre Verheggen compile une somme « d’excentries » qui lui permettent d’attendre la mort de la meilleure façon qui soit : par la rigolade à la régalade dans son petit univers personnel au cœur du village de Mazy, pays des lapins calmes, où sa fiancée du bord de mer côtoie Tintin (dans le Cotentin, à la boucherie-charcuterie Avékosse, au Québec, à la ferme, à la Fête de l’Huma, en compagnie de Martine ou des Garçondt et même en sous-vêtements…) sous la protection de quelques saints et saintes du cru (Sardine, Anchois, Hareng Saur, Chiasse, Fromages…) et sous le regard des grandes familles au grand complet :

 

« La Cousine entièrement équipée ;

Le Neveu symphonique de Beethoven ;

La Nièce de Varda ;

La Frangine de poitrine ;

Dumas Fille ;

Le Fils des Frères Dardenne ;

La Bru d’alcôve et la Bru de tabac ;

Le Gendre coquelicot Mesdames et le Gendre coquelicot Messieurs ;

Le Beauf sur le toit ;

Les Père et Mère dans leur Père et Mère de Sécurité ;

Le Tonton qui tousse et la Tante qu’il y aura des hommes ;

La Belle-dodge décapotée (et désormais rangée des voitures)

et du côté de sa femme, la Belle-doche de Venise ;

Le Papet de Papeete et la Granny d’Aurillac ;

Le Beau-père de couilles (retraité) et le Grand- père des mêmes (toujours en activité) ;

La Mammy de choc et tous ses descendants directs ou non :

L’Enfant do et l’autre déjà ado ;

Le Lardon frisé et l’aîné des soucis ;

Le Moutard Amora et le Morpion motocycliste auxquels il faut encore ajouter le Moutchatchou brochettes ; le Moutchatchou merguez et le petit dernier, le Moutchatchou royal. »

 

L’occasion, donc, de rire « à gorge du Verdon » !

 

Bernard DELCORD

 

Gisella suivi de L’Idiot du Vieil-Âge par Jean-Pierre Verheggen, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, collection « Espace Nord », mai 2019, 275 pp. en noir et blanc au format 12 x 18,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 9 €

[1] La Grande Mitraque (1968, 1995), Le Grand Cacaphone (1974), Le Degré Zorro de l’écriture (1978), Divan le Terrible (1979), Vie et mort pornographiques de madame Mao (1981), Ninietzsche, peau d’chien (1983), Les Folies belgères (1990), Artaud Rimbur (1990, 1994), Pubères, putains, Stabat mater, Porches, porchers (1991), Orthographe 1er, roi sans faute (avec Nestor Salas, 1992), Ridiculum vitæ (1994, 2001), On n’est pas sérieux quand on a 117 ans : zuteries (2001), Gisella (2004), Du même auteur chez le même éditeur (2004), Amour, j’écris ton nom (collectif, 2005), Portraits crachés (2005), L’Idiot du Vieil-Âge : Excentries (2006), Phallus et Morilles (2009), Sodome et Grammaire (2008), Poète bin qu’oui, poète bin qu’non ? (2011), Un jour, je serai Prix Nobelge (2013), Ça n’langage que moi (2015), Ma petite poésie ne connaît pas la crise (2017).

 

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